Nous ne connaissons pas d’écrits parlant des ardoisières de Maurienne avant le 14ème siècle .
D’après l’Histoire de la Maurienne du Chanoine A. GROS, nous apprenons qu’en 1361, Amédée de Savoie, Evêque de Maurienne, accense (loue) la carrière de Villargondran à trois associés.
En l’an 1430, le Comte Amédée VIII, faisant exécuter des réparations à son chateau d’Annecy, envoie deux de ses officiers à Saint Julien, pour choisir sur place les ardoises nécéssaires (des losas).
Nous pensons que les filons d’ardoise affleurant le sol ont été exploités depuis des millénaires au moins pour couvrir les maisons de la commune et des communes voisines. Les gens ont dû s’apercevoir que la pierre d’ardoise, exposée au soleil, se fendillait et ensuite, que l’on pouvait en tirer des grandes dalles, pas trop épaisses, (des badières), pour couvrir les toits, ce qui permettait d’avoir des toitures plus légères que celles qui existent encore dans les pays de montagne.
Jusqu’au 19ème siècle, les transports étaient très difficiles, soit à dos de mulet, ou sur des voitures hippomobiles, dans des chemins en très mauvais état. Cela empêchait le développement des ardoisières. De plus, la Savoie était un Etat indépendant et la France demandait des droits de douane très élevés.
Dès la construction du chemin de fer de France en Italie, les voies passant tout près des ardoisières ont permis un développement très important de cette industrie. En 1860, le rattachement de la Savoie à la France, apporta également la suppression des droits de douane et, la production s’écoulant facilement, les filons furent de plus en plus exploités. De nombreux ouvriers affluèrent et la population de St Julien passa de 900 habitants en 1860 à 1500 habitants en 1901. La production d’ardoise du bassin passa de deux mille tonnes environ à plus de trente mille tonnes. En 1900, plus de 500 ouvriers travaillaient aux ardoisières dans le bassin (communes de Saint-Julien, Montricher et Villargondran).
A Saint-Julien, dans la partie de montagne où sont les filons d’ardoise, huit filons ont été exploités. Les trois filons situés le plus près du village sont presque complètement épuisés et les autres le sont en grande partie. L’épaisseur est différente pour chaque filon d’ardoise, elle varie de 1m 60 à 5 m environ . Tous les bans ardoisiers sont exploités souterrainement, la galerie d’exploitation est presque horizontale : elle mesure environ 2 mètres de hauteur sur 1 m 50 à 2 mètres en largeur .
L’exploitation d’une carrière d’ardoises est soumise à une réglementation sévère contenue dans le cahier des charges de la commune. On doit laisser, tous les huit mètres environ, un pilier massif de 4 m de côté, pour soutenir la montagne c’est-à-dire le plafond des « carrels ». Si dans ce plafond il y a des fissures il faut rapprocher les piliers et « boiser » pour éviter les éboulements.
Quand on a abordé un filon d’ardoise, soit par l’extérieur, soit par un tunnel, on prépare une chambrée appelée carrel . Pour préparer ce carrel, il faut enlever sur le filon, une épaisseur de 50 à 80 cm appelée : le dégagement. Cette épaisseur est formée de couches alternées de granit, que l’on désigne sous le nom de gressart et de couches de schistes ; ces couches varient de quelques millimètres à 15 centimètres d’épaisseur.
On dégage donc le carrel sur une surface de 60 à 100 m² soit 15 à 20 toises, la toise valait 4 m². Le travail est fait par le mineur. Au début, il se servait d’une massette et d’un burin pour percer les trous de mine, ensuite, on inventa une perforatrice à bras munie d’un cliquet . Après il y eut les marteaux perforateurs à air comprimé et enfin, vers 1960, les perforatrices électriques.
Quand le carrel est dégagé, commence le travail du « coupeur ». Il s’agit de creuser dans la pierre d’ardoise, sur les bords du carrel, une rigole de 50 cm de largeur environ, sur 50 cm de profondeur : c’est la « coupure ». Ce travail se faisait avec une pointerolle et une massette. Après, on se servit d’un pic de coupeur, ensuite on utilisa le marteau piqueur et enfin une haveuse mue par un moteur électrique. Cette haveuse ressemble à une tronçonneuse à bois avec une chaîne faisant des « sciures » (rainures) de 3 cm de large.
Une fois que la pierre est « libre » commence le travail du « leveur », car l’épaisseur de 50 cm enlevée sur toute la surface du carrel s’appelle une « levée ». Le leveur fait un petit trou de mine, au « plan de pierre » et dans lequel il met très peu de poudre noire pour faire partir la fente. Ainsi se détache un bloc de pierre d’ardoise de 1 à 20 m² ou même plus. Ce bloc est débité en « tronçons » de 1 m 2 environ. Pour celà, on coupe dans son épaisseur, une entaille en forme de V, de 20 cm de long environ, sur 50 cm d’épaisseur, dans cette entaille appelée un « poil », on met deux plaques en fer de 60 cm de long sur 15 cm de large, en forme de lame de couteau, on les « bride » bien à la massette. Dans ces plaques, on met des coins de fer sur toute l’épaisseur du « poil », (soit 50 cm), on les bride à la massette jusqu’à ce qu’on ait un son clair pour tous. Ensuite, avec une masse, on les « serre » régulièrement. Quand ils sont tous bien « bridés », il se produit un bruit sourd et fort, le « poil » a « battu » selon le fil de pierre (comme un fromage qu’on a coupé au couteau). On mouille aussitôt les tranches qui viennent d’être faites. Elles ne devront jamais sécher jusqu’à ce que le tronçon arrive en barraque, à l’extérieur, pour être fendu à épaisseur d’ardoise (4 mm environ). Le travail de « poil » a été supprimé avec l’utilisation des haveuses. On scie sur le carrel la plupart des tronçons.
Ensuite, le leveur refend le tronçon. Il a une mesure en bois avec des crans repères de 4 seizes d’ardoises, 2 seizes, 1 seize et 1 huit. Si la levée a une épaisseur de 50 cm, cela fait 8 seizes soit 128 ardoises de 4 mm. Il mesure donc 4 seizes (le milieu du tronçon, ce qui facilite la fente). Il se sert pour faire partir la fente, d’une refente, sorte de coin très coupant, il la place où il a mesuré, bien au plan de pierre, et il frappe sur la tête de la refente avec une petite masse appelée « chappelette » (sorte d’herminette). Quand le tronçon est refendu en deux tronçons de 4 seizes, il refend de nouveau en deux fois 2 seizes, puis 1 seize et enfin 2 huits. Il obtient des charges, c’est-à-dire la surface du tronçon sur 32 mm environ, soit 8 ardoises. On sort aussi des charges de 1 seize, soit 64 mm d’épaisseur environ.
A mesure que le leveur a une ou deux charges à épaisseur voulue il en prend une sur son dos et la transporte sur le wagonnet. Il se protège des « pilures » en mettant sur le dos, une « bâche », sorte de gilet fait de plusieurs épaisseurs de tissus et qui descend jusqu’au bas du dos. Quand toutes les charges du tronçon sont empilées sur le wagonnet, il sort cette « wagonnée » jusqu’en « barraque ». La barraque est un atelier construit généralement à la sortie du tunnel. Le tronçon est déchargé et empilé, sur champ, à la « loppe », qui est une grande dalle fixée contre un mur. Il a toujours été maintenu mouillé sur les cotés, et il doit toujours être mouillé jusqu’à ce qu’il soit fendu à épaisseur d’ardoise.
Maintenant commence le travail du fendeur. Celui-ci appuie la première charge contre sa jambe gauche, il tient dans une main un ciseau à fendre qu’il place au milieu de l’épaisseur de la « charge » bien au plan de pierre. Avec l’autre main, tenant une chappelette plus petite que celle du « leveur », il frappe sur la tête du ciseau jusqu’à ce que la fente s’ouvre jusqu’à environ 50 cm puis, il prend dans ses deux mains une épée, longue lame à fendre, munie d’un manche, il la passe de chaque côté sur une pâte à « graisse » (il s’agit d’un lit de chiffons imbibé d’huile). Il introduit le côté tranchant de l’épée dans la fente et, s’aidant du ciseau et de l’épée, il conduit la fente jusqu’au bout de la charge. Il recommence ces opérations jusqu’à ce qu’il obtienne des épaisseurs d’ardoises de la surface de la charge. Il les empile, à mesure, sur champ. Quand il a fini de fendre le tronçon, celui-ci est reconstitué, soit environ 128 feuilles de 4 mm d’épaisseur.
Le travail du fendeur en gros est le métier qui demande le plus de capacités, il est très difficile. Ensuite vient le travail du « liseur ». L’ouvrier prend une feuille. Il a devant lui des cadres en bois de la grandeur des ardoises qu’il veut tracer sur la feuille (ces cadres sont des « liserelles »). Il a dans une main un « marquet » (une pointe en acier enfoncée dans un morceau de manche à balai). Il trace des lignes autour des cadres en laissant entre chacune un espace de 1 cm. Ensuite, il prend d’une main un « brouillet » : petit marteau à deux pannes minces et inversées, et dans l’autre main il tient une « pierre à brouiller » : c’est un morceau de pierre d’ardoise de 3 cm d’épaisseur et de 10 cm environ de côté. Avec son « brouillet », il frappe des petits coups rapides entre les lignes tracées sur la feuille, en tenant derrière celle-ci, à l’endroit où il frappe avec le brouillet, la pierre à brouiller, de façon que les coups de brouillet fassent emporte-pièce en pilant la pierre. Quand il est au bout des lignes tracées, il appuie sur la partie brouillée et obtient des ardoises de la grandeur tracée.
L’ouvrier qui termine les ardoises exactement à la grandeur voulue s’appelle un « équarreur ». Pour ce travail il se sert d’une machine à équarrer, sorte de gros massicot avec une équerre et des échelettes à crans de toutes largeurs et longueurs d’ardoises.
Chaque jour, les ardoises fabriquées à la machine à équarrer étaient empilées prés de la « barraque » sur un terre plein appelé « emplacement ». Une à deux fois par mois, on les descendait dans la vallée, à port de chargement: pour cela, on avait installé, pour chaque carrière un téléphérique va-et-vient à deux bennes, le poids de la benne pleine faisant monter la benne vide. Ces téléphériques ont commencé à être installés au début du 20ème siècle. Auparavant, les ardoises étaient descendues sur des traîneaux ou des petites voitures à bras tirées par un mulet. C’était le travail d’un tâcheron, le « traîneur ».
Selon l’époque, ces ardoises étaient transportées vers les chantiers des utilisateurs par des voitures tirées par des chevaux ou chargées sur des wagons du chemin de fer et par la suite sur des camions. Elles étaient expédiées surtout vers les deux Savoies, puis vers d’autres régions de France et à l’étranger : l’Angleterre, le Danemark, la Hollande, l’Allemagne. Vers 1950, il avait été expédié plus de deux mille tonnes d’ardoises en Angleterre sur des wagons spéciaux embarqués sur des ferry-boats.
A Saint Julien, on fabriquait la plus grande partie des ardoises à écrire pour les écoliers de France. Une partie allait aussi à l’étranger, dans des usines où elles étaient polies, tracées et encadrées. Une grande quantité était employée par la société « JUVENILIA » du Pont Albertin, à Albertville. Pendant un certain temps cette société faisait exploiter, elle même, des carrières d’ardoises à Saint Julien. Le contremaître qui dirigeait les carrières de cette société, Monsieur Jean-Baptiste BUTTARD, était originaire de Mont Denis et ancien ardoisier.
Peu après 1950, les exportations d’ardoises diminuèrent. Elles étaient concurrencées par les ardoisières du Portugal et de l’Espagne, qui employaient des ouvriers sous-payés. De plus, les ardoises fabriquées dans ces pays furent même importées en France. L’Italie nous fit concurrence, bien que ses ardoises fussent de moins bonne qualité que celles de notre bassin, ce qui provoqua une crise. Beaucoup de carrières cessèrent leur activité.
Les ouvriers, artisans ou tacherons qui y travaillaient furent embauchés dans les usines de la région, notamment Péchiney Saint-Jean qui était en pleine expansion, et aussi dans d’autres industries.
Dans les carrières qui restèrent en activité, il y avait surtout des ouvriers d’un certain âge, qui connaissaient bien le métier d’ardoisier et qui voulaient continuer à cotiser à la caisse des mines pour recevoir une retraite à 50 ou 55 ans, selon leurs années de versement.
On peut dire que, à mesure que les anciens demandaient leur retraite, comme il restait peu d’ardoisiers d’un âge moyen, les carrières fermèrent lentement, les unes après les autres.
La dernière carrière exploitée par Monsieur Raoul CHAUVIN ferma ses portes en 1982.